Il s’appelait Pablo Ruiz dit Picasso (en hommage au célèbre joueur de bandonéon) et avait commencé par le difficile métier de picador, dans le sud de l’Espagne où il était né. Mais n’ayant ni goût ni talent pour l’art tauromachique, il y avait rapidement renoncé. Après un peu reluisant emploi de videur dans les bastringues du quartier chaud de Barcelone, il était venu en France pour participer à des combats de boxe, la plupart du temps truqués, où il était invariablement le premier à aller au tapis. Rendu abruti par les coups, il avait été recueilli par l’hospice de St Rémy-de-Provence où, entre deux crises de delirium tremens, il s’était essayé à la peinture. Même si des âmes charitables lui ont prêté un petit talent, soyons honnêtes, compte-tenu de son lourd handicap intellectuel et visuel, le résultat de ses barbouillages relevait déjà de l’exploit mais il ne fallait pas y chercher la moindre cohérence. Ses croutes ont, heureusement, été irrémédiablement dispersées, comme lots de consolation, lors des kermesses paroissiales.